Pas de Rendez-vous, Pas de Déception

L’adversité et le soi authentique

(Adapté et mis à jour d’une présentation donnée lors d’un mini-colloque annuel de l’association Virginia-Carolina, 2018, intitulé The Mission of Adversity and the Spiritual Value of Disappointment).

Ce samedi soir, le Maitre parla pendant plus d’une heure, aux groupes assemblés, « du rôle de l’adversité et de la valeur spirituelle des déceptions ». Ce fut une occasion mémorable, et les auditeurs n’oublièrent jamais cette leçon. [Fascicule 51:0.1, page 1688.1 gras ajouté]

En 1985, lorsque j’ai emménagé avec mon premier partenaire masculin, nous ne nous connaissions que depuis deux semaines. Et pendant ces deux semaines, nous n’avions probablement pas été ensemble plus de deux ou trois fois. Mais Owen m’a donné une clé de son appartement presque immédiatement ; ainsi, lorsque mon mariage s’est effondré assez brusquement et que ma désormais ex-femme m’a demandé de partir, je savais exactement où aller.

Au cours des semaines et des mois suivants, alors qu’Owen et moi nous connaissions davantage, j’ai appris que ses goûts en matière de livres incluaient Un Cours en Miracles, ainsi que Les Dames du lac, de Marion Zimmer Bradley, une relecture de la légende du roi Arthur du point de vue féminin, Creative Visualization de Shakti Gawain et The Seth Material. Seth prétend être un maître spirituel qui a parlé à l’auteur Jane Roberts pendant qu’elle était en transe.

Owen a lu et relu ces livres encore et encore, soulignant avec un crayon rouge émoussé. Je me rends compte maintenant que je ne l’ai jamais vu méditer ou prier, juste lire et relire ces livres avec son petit crayon rouge.

Ces livres ont au moins influencé le discours d’Owen, parsemé de phrases telles que « Ce n’est que de l’énergie,» « Nous créons notre propre réalité » et « Il n’y a pas de victimes, seulement des volontaires». Je n’avais aucune idée de ce dont il parlait. Ma vie a été un désastre, et je n’étais certainement pas volontaire pour tout cela. Et comme tout ça n’est que de l’énergie, eh bien…

Parmi les mantras d’Owen, il y avait aussi cette phrase : Pas de rendez-vous, pas de déceptions. Cette phrase, je l’ai bien comprise : ne pas être trop investi dans un résultat pour que son échec soit accueilli avec sérénité et acceptation plutôt qu’avec dépression et désespoir.

Cela fait maintenant vingt-trois ans qu’Owen a apparemment considéré sa vie comme une déception insurmontable et s’est pendu derrière sa porte d’entrée. Je me demande souvent ce qu’il aurait fait du Livre d’Urantia. N’aurait-il été qu’un autre exercice de soulignement, accompagné d’une nouvelle série de slogans, ou aurait-il trouvé dans ses pages un chemin pour découvrir et se lier d’amitié avec son moi authentique ? Le moi qui n’est pas lié à l’ego, le moi qui ne croule pas sous les dettes, le moi qui n’est pas vaincu par son manque de succès en tant qu’acteur malgré son talent démesuré.

Mais comment faire exactement ? En découvrant et en se liant d’amitié avec son moi authentique. Si je suis prêt à accepter que je ne sois pas mon curriculum vitae, mes succès ou mes échecs, ma fonction, mon solde bancaire, ma race, ma religion, mon ethnie ou ma culture, ainsi que toutes les étiquettes que je porte comme ex-mari, Américain, prêtre contemplatif ou végétalien, si je ne suis pas mon nom, mes pensées ou mes émotions, ou peut-être le plus important, mon corps, alors diable qui suis-je ?

Et qui dirige le programme ici ?

Une pierre d’achoppement pour moi, à chaque fois que je le lis, est le rôle que joue l’Ajusteur de Pensée dans nos vies. Dans le fascicule 108, nous lisons :

Les Moniteurs de Mystère n’aident pas à penser ; ils ajustent la pensée. Ils travaillent avec le mental matériel en vue de construire . . . un nouveau mental pour votre carrière future sur de nouveaux mondes . . . Leur mission concerne principalement la vie future, et non la présente. On les appelle aides célestes, et non aides terrestres.

Voici l’essentiel :

Ils ne cherchent pas à faciliter la carrière mortelle ; ils s’occupent plutôt de rendre votre vie raisonnablement difficile et accidentée, afin de stimuler et de multiplier vos décisions. La présence d’un grand Ajusteur de Pensée ne vous donne pas une vie facile et ne vous décharge pas d’avoir à penser énergiquement, mais ce don divin devrait vous conférer une sublime paix mentale et une magnifique tranquillité d’esprit. [Fascicule 108 :5.5, page 1191.6]

Son affaire est de vous préparer à l’aventure éternelle, d’assurer votre survie. Le Moniteur de Mystère n’a pas pour mission d’adoucir vos sentiments d’irritation ou de panser votre orgueil blessé. C’est la préparation de votre âme à la longue carrière ascendante qui retient l’attention et occupe le temps de l’Ajusteur. [Fascicule 108 :5.6, page 1192.1]

Je ne peux donc m’empêcher de me demander, en regardant mes soixante-dix ans, quelles situations de ma vie ont été provoquées par mon Ajusteur ? Quelles circonstances ont été placées sur mon chemin pour me créer une existence « raisonnablement difficile et rude »?

La liste, bien sûr, est sans fin, mais on peut citer le tyran cruel et égocentrique que j’ai eu pour mère, qui attendait de ses enfants qu’ils prennent soin d’elle et non l’inverse ; un père désintéressé et sans amour, très embarrassé par mon manque d’habileté athlétique et mon dédain pour le sport ; et enfin et surtout, mon orientation sexuelle. Une chose dont je ne suis pas le moins du monde malheureux, mais dont le malaise du reste du monde a causé une douleur indicible.

Et qu’en est-il de toutes les mauvaises décisions que j’ai prises ? Le dérapage de mon histoire financière. Les relations malveillantes dans lesquelles je me suis engagé impatiemment avec des partenaires, des amis et des employeurs. La série apparemment sans fin d’emplois abrutissants et dévastateurs pour l’esprit qu’en somme, je ne peux pas, sans rire, appeler une carrière. 

Oui, bien sûr, chacun d’entre nous a une liste. Ma vie n’a pas été meilleure ou pire, ni plus difficile ou plus facile, que celle de n’importe qui d’autre, et je ne suis pas, avec la perspective limitée d’un simple mortel, en position de juger.

Alors, le rôle principal de l’Ajusteur de Pensée est-il de fournir les citrons et notre défi de faire de la limonade ? Ce genre d’optimisme et de force intérieure m’étaient complètement étrangers en grandissant. On m’a appris que le monde est un endroit dangereux, et que le malheur et la tristesse se cachent à chaque coin de rue. L’exemple que l’on m’a donné était que tout était une catastrophe aux proportions bibliques et que la réponse appropriée n’était pas de réessayer, mais d’abandonner immédiatement et de se mettre au lit pendant au moins trois jours.

Alors que je n’ai peut-être pas suivi cet exemple à la lettre, je l’ai certainement pris à cœur sur le plan émotionnel. Le désespoir, l’abattement et la dépression ont marqué mon adolescence et ont persisté pendant plusieurs décennies.

Pourquoi n’aurais-je pas pu être comme Barbra Streisand, l’icône gay de mon adolescence ? Lorsque sa mère s’est moquée de ses rêves et de ses ambitions et lui a dit d’aller dans une école de secrétariat, Streisand, dans une entrevue qu’elle a donnée il y a plusieurs années, a adopté une attitude du type « Je vais te montrer ! ». Et manifestement, elle l’a fait.

Owen avait une bonne dose du courage et de la force de caractère de Streisand, mais de manière plus passive-agressive. Alors que ses parents croyaient qu’il allait à l’université, par exemple, il était en fait apprenti dans un théâtre local à Pittsburgh, où il a grandi. Dans leur égocentrisme total, son père et sa mère ont signé leurs chèques de scolarité à Owen plutôt qu’à une école et n’ont jamais posé de questions sur les cours, les notes ou, en fait, sur sa vie. Au lieu de cela, ils sont allés au country club et ont joué à la version américaine de Keeping Up Appearances.

Quatre ans plus tard, à l’approche de la remise des diplômes, le secret d’Owen est révélé et il doit payer un lourd tribut. Néanmoins, il a réussi à négocier un an ou deux à New York – je ne me souviens pas des conditions exactes – et en 1966, il a emménagé dans un appartement à loyer règlementé sur Waverly Place, le seul appartement qu’il n’ait jamais occupé à New York et où j’ai emménagé ce jour fatidique de 1985.

Bien sûr, ses parents savaient depuis toujours qu’il avait la passion du théâtre, mais ils ont choisi de l’éteindre plutôt que de l’entretenir, de la même manière, je crois, que ma mère a compris qu’elle ne devait pas m’emmener à l’opéra avec elle parce que j’aurais un peu trop aimé ça, et qu’allait-elle faire d’un fils roi de l’opéra dans le Cleveland de l’Ohio des années 1960 ?

Oui, Owen était beaucoup plus déterminé et persévérant que moi. Un samedi, alors que je me promenais dans le village, je cherchais, je ne me souviens plus exactement, un certain type de chaussettes, de chaussures ou de pantalons. Déçu après deux ou trois tentatives infructueuses, je me suis mis à chialer : « Oh, laisse tomber. » La réplique instantanée d’Owen est encore gravée dans ma mémoire : « Tu abandonnes si facilement. »

Pourtant, c’est lui qui a finalement abandonné. Il y a de nombreuses raisons à cela et je n’essaie pas de simplifier à l’extrême sa vie ou sa mort, mais je sais qu’il n’avait pas la vue d’ensemble que la méditation et Le Livre d’Urantia lui offrent. La vue d’ensemble de l’univers, du désordre dans lequel nous sommes ici sur Urantia, de Dieu, de la vie. Les explications, les compréhensions et les consolations que j’ai trouvées dans Le Livre d’Urantia ont fait toute la différence. C’est, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, la chose la plus importante que j’aie jamais lue.

Malheureusement, nous ne disposons pas de la transcription du discours de Jésus sur le rôle de l’adversité et de la valeur spirituelle des déceptions dont il est question au fascicule 151:0.1. On nous donne tant de ses discours, et pourtant celui-ci n’est mentionné qu’en passant, bien qu’il soit qualifié de mémorable. Jésus a-t-il donné à ses apôtres un discours de citronnade ? Nous devrons attendre pour le savoir.

Laissé aux spéculations, j’ai pensé au livre de Job. Malgré tout ce qui lui est arrivé … Job n’a pas… accusé Dieu de mal faire (Job 1:22). Il ne s’est pas lamenté en disant : « où était Dieu ? » comme le font beaucoup de gens après une atrocité. J’ai souvent entendu cela après les attaques terroristes sur New York. « Où était Dieu le 11 septembre ? » était un refrain commun à de nombreux groupes de personnes.

Où était Dieu ? Là où Dieu est toujours. Sur l’Ile Éternelle du Paradis et en chacun de nous. Les atrocités, telles que celle du 11 septembre, ne sont pas le genre d’adversité que l’Ajusteur de Pensée met sur nos chemins. Dieu n’est ni cruel ni vindicatif et ne met pas en place d’attaques terroristes, de fusillades dans les écoles, de guerres mondiales ou de crucifixion, comme moyen de rendre nos vies raisonnablement difficiles et rudes. Nous faisons toutes ces choses par nous-même. 

L’adversité, au contraire, nous oblige à examiner ce qui est important et ce qui ne l’est pas. C’est un dépouillement. Un dénuement du confort de nos vies, de nos possessions, peut-être de nos capacités physiques, de nos capacités mentales et, surtout, de nos amis et des membres de notre famille. Quand nous n’avons rien ni personne, qu’avons-nous ?

L’une des options est la déception, généralement accompagnée de colère, de ressentiment, d’amertume et de plusieurs mots de quatre lettres. Je pourrais partager mes préférés avec vous en privé.

L’autre option est notre moi authentique, dépouillé, mis à nu. Par conséquent, la valeur spirituelle de la déception réside peut-être dans la mesure où elle nous secoue les épaules et nous rappelle que, seul Dieu, l’amour et la lumière sont éternels. Rien d’autre, y compris la vie terrestre, ne compte vraiment. 

Je crois qu’Owen a compris tout cela, du moins intellectuellement. Mais je crois aussi qu’il ne l’a jamais vécu de manière viscérale, et tant que ce n’est pas le cas, c’est un palliatif qui, au final, est décevant. Owen n’a cherché des réponses qu’à l’extérieur de lui-même, cruellement rejeté par un thérapeute qui prétendait qu’il n’avait « pas de fond » et ne pouvait donc pas être aidé.

Il n’a donc pas réussi à faire le travail, à s’engager dans l’interminable dévotion quotidienne de soi à l’Union Consciente avec Dieu, comme le dit l’auteur Joel Goldsmith. Tragiquement, tout ce qu’Owen pensait avoir, c’était son petit crayon rouge et la ceinture avec laquelle il s’est pendu.